Justine, personnage principale de la pièce de Carole Fréchette, est une
jeune femme qui a du mal à communiquer avec ses contemporains. Alors elle décide de se prendre en main et de s'initier au small talk.
Le
small talk, c'est cette conversation anodine que l’on entame dans
toutes sortes de circonstances et qui permet d’entrer en relation
avec des personnes inconnues ou peu connues.
Avez-vous
remarqué cette faculté qu’ont la plupart des Anglais et des
Américains de parler à tout moment et en particulier avec de
parfaits inconnus?
Au
premier abord, on se dit qu’il s’agit-là d’une qualité, d’une
marque de civilité, que nous Français sommes plus ou moins
dépourvus et dont nous avons du mal à saisir l’utilité. Pourquoi
parler avec sa voisine de bus? Ou avec son voisin de file d’attente?
Ou pire, avec la caissière de Carrefour Market? Ça servirait à
quoi? On ne les reverra plus jamais. C’est justement parce que la
rencontre est furtive que l’Anglais ou l'Américain devient
«civil».
Le
hic, selon Susan Cain, conférencière américaine, c'est que la
tendance actuelle est de favoriser la communication à tout prix. On
observe ce phénomène dans les milieux de travail, où les espaces
ouverts et les réunions à la file sont devenus la norme, mais aussi
dans les écoles, où on incite de plus en plus les enfants à
travailler en équipe. Après la publication de son essai Quiet,
l'avocate a d'ailleurs reçu des centaines de lettres de lecteurs à
ce sujet. Les gens lui confiaient à quel point ils devaient renoncer
à être réellement eux-mêmes et faire des efforts pour se
conformer à leur environnement.
Josée,
une Franco-Canadienne dans la quarantaine, qui travaille à la
maison comme traductrice, rédactrice et réviseure, se sent comme un
poisson hors de l'eau lorsqu'elle évolue en société. Il y a
quelques années, elle s'est toutefois forcée à participer à des
soirées de réseautage afin de tisser de nouvelles relations
d'affaires. «Je m'obligeais à y aller mais, honnêtement, je
détestais ça.
Josée
se rappelle entre autres à quel point il lui était difficile de
prendre part aux discussions, soit parce qu'on ne lui en laissait pas
la chance, soit parce qu'elle n'arrivait simplement pas à trouver
les mots pour s'exprimer.
«Les
introvertis ont besoin de temps pour réfléchir. Ils sont incapables
de spontanéité, à moins qu'il s'agisse d'un sujet qu'ils
connaissent parfaitement», affirme Marti Olsen Laney. Selon cette
psychanalyste, ce phénomène s'explique en partie par le fait qu'ils
utilisent davantage leur mémoire à long terme pour communiquer, ce
qui prend plus de temps, surtout s'ils sont anxieux. Pour cette
raison, ils sont parfois perçus comme étant lents, voire moins
intelligents, en comparaison des gens plus expansifs qui parviennent
facilement à captiver leur auditoire, même si leurs propos sont
superficiels.
Susan
Cain croit que le monde devrait cesser de tourner autour du nombril
des extravertis.
Pire
encore. L'essayiste croit qu'il y a un vrai danger à ce qu'on laisse
toute la place à ceux et celles qui parlent le plus fort. La raison?
Contrairement aux introvertis, qui ont le tournis lorsqu'ils sont
trop stimulés, les extravertis sont avides de sensations fortes.
«Ils sont plus enclins à passer à l'action, à aimer les défis et
le risque, concède l'avocate. Par contre, ils ne perçoivent pas
toujours les signes de danger et sont ainsi plus susceptibles
d'accumuler des dettes financières, d'être corrompus ou
infidèles...» Dans son essai Quiet, Susan Cain fait d'ailleurs
un lien étonnant entre la crise économique passée et la
survalorisation des extravertis. Selon elle, ces derniers ont envahi
Wall Street et ont pris des risques inconsidérés qui ont causé les
débâcles des dernières années...
La
psychothérapeute mexicaine Marina Casteñeda s'inquiète également
des dérives de notre société, qui cultive des valeurs
extraverties. «Contrairement au 19e siècle, où il était considéré
de mauvais goût de parler de soi, il existe aujourd'hui un impératif
absolu à se raconter et même à dire tout ce qui nous passe par la
tête, sans prendre le temps de réfléchir. La démocratie, c'est le
droit de chacun d'être entendu... Mais les gens semblent désormais
trop occupés à exprimer leurs idées pour prendre le temps
d'entendre les autres», déplore-t-elle. Dans son essai Écouter,
elle explique qu'il importe de réapprendre à user d'écoute, une
faculté humaine fondamentale.
Susan
Cain est aussi d'avis qu'il faut réhabiliter des valeurs propres aux
gens plus discrets, comme la prudence et la réflexion. «Les
introvertis et les extravertis sont des tempéraments
complémentaires», rappelle-t-elle. Et ce n'est qu'en bénéficiant
des richesses de chacun qu'on pourra construire un monde meilleur.
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