18/01/2019

Joël Pommerat, auteur de Cercles / Fictions

Biographie

Joël Pommerat est né en 1963.
D’abord comédien, Joël Pommerat s’engage dans l’écriture à 23 ans. En 1990, il fonde la Compagnie Louis Brouillard à l’occasion de sa première création, Le Chemin de Dakar. Parallèlement, Il s'engage personnellement à monter une pièce par an pendant quarante ans et se promet d'embaucher à chaque pièce les sept acteurs avec lesquels il travaille.
Les spectacles suivants affinent son processus de travail: la mise en scène et le texte s’élaborent en même temps pendant les répétitions.
Avec la trilogie Au monde (2004), D’une seule main (2005) et Les Marchands (2006), Joël Pommerat ancre plus directement ses pièces dans la réalité contemporaine et l’interrogation de nos représentations. Il aborde le réel dans ses multiples aspects, matériels, concrets et imaginaires. Il réécrit et met en scène trois contes, qu’il destine autant aux enfants qu’aux adultes: Le Petit Chaperon rouge en 2004, Pinocchio en 2008 et Cendrillon en 2011.
En 2010, il présente Cercles/Fictions dans un dispositif circulaire, qu’il explore à nouveau dans Ma chambre froide l’année suivante. En 2013, il crée La Réunification des deux Corées dans un dispositif bifrontal. Joël Pommerat cherche à créer un théâtre visuel, à la fois intime et spectaculaire. Avec sa pièce Ça ira (1) Fin de Louis, Joël Pommerat obtient trois Molières en 2016, le Molière de l’auteur francophone vivant, le Molière du metteur en scène d’un spectacle de théâtre et Molière du théâtre public.
Tout son théâtre est édité chez Actes Sud-Papiers.

Processus de création

Joël Pommerat se définit comme un « écrivain de spectacle ». Son processus de création remet en cause la tradition du théâtre de texte en accordant une importante place au corps, au son, à la lumière et à l'espace. Il développe un « théâtre total » dans lequel textes, lumières, sons, musiques et costumes s’élaborent quasiment dans le même temps, pendant les répétitions, en collaboration avec l'équipe artistique. À partir d'un espace le plus souvent vide, Joël Pommerat travaille à donner forme aux images qu'il a en tête : il propose conjointement des indications d'écriture scénique et textuelle.

Dans ses différents livres, Théâtres en présence et Troubles, Joël Pommerat expose sa technique de mise en scène. Si l'on pense qu'il écrit à partir d'improvisations de ses comédiens parce qu'il écrit au plateau, c'est faux. Il réécrit tout au long des répétitions et demande à ses comédiens de réapprendre le texte rapidement. Tout en collaborant avec eux, il reste le seul créateur.
Au centre de cette recherche, l'acteur doit se défaire de ses habitudes pour trouver l'authenticité de sa présence concrète et personnelle en scène. C'est instant par instant, influencé par ces présences en mouvement dans l'espace et la lumière, que Joël Pommerat conçoit ses spectacles.
Ce processus de création nécessite du temps : selon les spectacles, les répétitions s’étendent sur des périodes de 3 à 6 mois.


L’écriture théâtrale par Joël Pommerat

Je suis persuadé qu'on peut dire quelque chose d'actuel et brûlant de nous et notre monde par le théâtre.
Mais je suis persuadé que ce qui se dit au théâtre se dit aussi dans la forme et dans la manière de faire le théâtre.
Rien de plus politique que le style, le style de jeu d'un acteur pour commencer, sa façon de jouer, et donc la façon de concevoir la direction d'acteurs. Le texte, la phrase ne pèsent pas grand-chose au théâtre, isolés de la question du jeu de l'acteur, la question de l'interprétation.
Dans la manière, dans la forme de ce qui est dit, au théâtre, quelque chose est contenu, bien plus fort que dans les discours, les opinions et autres dénonciations irréprochables : à bas la guerre, non à l'argent, les autres ont tort, que meure la bêtise... C'est aussi dans la quête de la forme que peut se dégager au théâtre le sens dont nous avons besoin.
En cela, je pense aussi qu'il est plus urgent de montrer que d'expliquer. Que c'est là, même, notre seul et essentiel travail au théâtre : montrer, quoi montrer, comment montrer. Et sans exclure le texte, non, car la parole doit être montrée elle aussi.
Le théâtre ne sert aucune cause, au contraire, pour moi il doit empoisonner la réflexion et tenter de nous faire sortir de nous-mêmes. En cela, peut-être, il est politique.
Quand j'écris, je vise quelque chose d'autre que l'anecdote.
Quand nous travaillons, je dis souvent : "Non, ça, ça ne m'intéresse pas, c'est anecdotique", anecdotique, cela veut dire pour moi qu'il n'y a rien d'autre derrière la chose que le reflet de la chose elle-même.
Les choses qui m'intéressent valent pour ce qu'elles sont capables de révéler d'autre, de différent, voire de contraire, c'est leur profondeur qui m'intéresse. Je vise quelque chose derrière l'action, les mots, la situation. Quelque chose qu'on ne doit pas pouvoir désigner simplement, quelque chose qui doit apparaître, quelque chose qui doit s'immiscer, se glisser entre les lignes des gestes
et des phrases prononcées comme une réalité fantôme bien plus présente, bien plus forte sous cette forme que si elle était désignée par le texte ou par le jeu des interprètes, par leurs intentions affirmées, soulignées.
Une réalité fantôme comme ces membres fantômes, ces jambes ou ces bras qui ont été amputés et dont la présence continue à se faire ressentir.
Je ne crois pas que le théâtre soit le lieu idéal d'expression des bons sentiments.
Le théâtre est un lieu possible d'interrogation et d'expérience de l'humain.
Non pas un lieu où nous allons chercher la confirmation de ce que nous savons déjà mais un lieu de possibles, et de remises en question de ce qui nous semble acquis.
Un lieu où nous n'avons pas peur de nous faire mal, puisque ce lieu est un lieu de simulacre et que les blessures que nous allons nous faire n'ont rien de commun avec celles que nous pourrions subir dans la vie qui n'est pas théâtre.
Il ne faut jamais confondre l'art et la vie.
Quand je travaille je cherche à replacer le spectateur dans un temps précis, concret.
Un temps qui puisse rassembler spectateurs et acteurs dans un lieu donné.
Un temps capable de relier fortement des êtres les uns aux autres, par exemple : comme un groupe de personnes face à un danger commun.
Et c'est cela que j'appelle "le rapport au réel" dans mon travail : la recherche d'un rapport au temps réel, au temps présent, à l'instant. D'où découle un rapport à l'espace réel qui est l'espace commun de l'acteur et du spectateur.
Je cherche à rendre l'intensité du temps qui passe, seconde après seconde, comme aux moments de notre vie les plus essentiels, pendant une expérience qui nous confronte à nous mêmes, au plus profond.
En même temps, je choisis des situations ordinaires, et je cherche à l'intérieur de ce cadre ordinaire la tension la plus forte, l'intensité la plus grande.

Source : Théâtres en présence, Joël Pommerat, Actes Sud papier, pp.25 à 28.


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